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Glyphosate : entre l’Inserm et les agences réglementaires, des conclusions divergentes
Dans un rapport publié mardi, Générations futures interroge le corpus scientifique sur lequel se fondent les agences réglementaires européennes d’une part, et l’Inserm d’autre part, pour expertiser les effets de l’herbicide sur la santé.
Dans les prochaines semaines, la Commission européenne devrait proposer aux Etats-membres de réautoriser le glyphosate jusqu’en 2038, sur la foi de l’expertise rendue par les deux agences réglementaires de l’Union européenne – l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Dans un rapport rendu public mardi 12 septembre, l’association Générations futures interroge ces travaux, en comparant leurs conclusions avec celles de l’expertise collective rendue par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) en juin 2021.
Le constat est celui de profonds désaccords entre les deux expertises – Inserm d’une part, agences réglementaires de l’autre – sur les effets examinés. Que ce soit sur la génotoxicité (toxicité pour l’ADN), la neurotoxicité (toxicité pour le cerveau), la reprotoxicité (toxicité pour la reproduction) et les effets de perturbation endocrinienne, ou encore la mitotoxicité (toxicité pour la respiration cellulaire) ou la toxicité pour le microbiote, les agences réglementaires ne mettent pas en évidence d’effets probants, tandis que les experts réunis par l’Inserm citent de nombreuses études mettant en évidence de tels dangers.
« L’une des raisons de cette divergence est le fait que les agences réglementaires jugent non fiables ou non pertinentes l’écrasante majorité des études universitaires, explique Pauline Cervan, ancienne toxicologue pour l’industrie chimique, désormais chargée de mission à Générations futures. Pour l’ensemble des effets que nous avons analysés, l’Inserm s’est appuyé sur quarante-cinq études académiques, mais une seule d’entre elles a été jugée pertinente et fiable par les agences. Celles-ci considèrent en priorité les études standardisées que leur fournissent les industriels. »
« Déficits locomoteurs » et « comportement dépressif »
Par exemple, pour forger leur opinion sur la génotoxicité du glyphosate, les experts de l’Inserm ont pris en compte dix-huit études académiques dont aucune n’a été retenue par les agences réglementaires. « Il est peu probable que le glyphosate soit génotoxique sur la base d’une approche de type “poids de la preuve” », écrit ainsi l’EFSA dans son rapport final, publié en juillet. L’expertise de l’Inserm conclut à l’exact inverse : « De nombreuses études mettent en évidence des dommages génotoxiques [qui] s’ils ne sont pas réparés sans erreur par les cellules, peuvent conduire à l’apparition de mutations et déclencher ainsi un processus de cancérogenèse. » Les auteurs ajoutent que ces effets sont cohérents avec le stress oxydant induit par le glyphosate « parfois à des doses d’exposition compatibles avec celles auxquelles les populations peuvent être confrontées ».
De même, pour le potentiel de perturbation endocrinienne, l’Inserm a considéré vingt-et-une études publiées dans la littérature scientifique pour forger son opinion. Les agences en ont jugé une seule fiable et pertinente. « L’ensemble du poids des preuves n’a pas montré de mécanisme convaincant d’activité endocrinienne », écrit ainsi l’EFSA. Là encore, l’Inserm conclut à l’inverse : « La littérature récente suggère un mode d’action PE qui pourrait agir au niveau des fonctions développementales ou de reproduction », lit-on dans son expertise collective.
Quant à la neurotoxicité, les agences réglementaires jugent que « les éléments de preuve d’un effet du glyphosate ou des herbicides à base de glyphosate sur les neurotransmetteurs sont insuffisants ». Autre son de cloche du côté de l’Inserm qui note, dans les commentaires que l’institution a adressés aux régulateurs européens, que « des études universitaires récentes ont montré que les herbicides à base de glyphosate ainsi que le glyphosate seul modifient les concentrations de plusieurs neurotransmetteurs dans diverses régions du cerveau chez les rongeurs ». « Cela pourrait expliquer les déficits locomoteurs et le comportement dépressif observés chez les rongeurs exposés », ajoutait l’institut.
« Aucun résultat important n’a été écarté »
D’autres effets toxiques relevés dans le rapport de l’Inserm, sur de possibles modes d’action épigénétique, sur la toxicité pour la respiration cellulaire ou les effets sur le microbiote intestinal n’ont pas été recherchés par les agences. Interrogée, l’ECHA explique avoir mené une évaluation « fondée sur le “poids de la preuve”, ce qui signifie que les études bien réalisées et standardisées ont généralement plus de poids dans l’évaluation ». « Aucun résultat important n’a été écarté », ajoute-t-on à l’ECHA. L’agence précise que « l’étude du microbiote intestinal ne fait actuellement pas partie du cadre européen d’évaluation des pesticides et que, par conséquent, ces études n’ont pas été prises en compte dans l’évaluation ».
L’EFSA, de son côté, estime que son rapport final publié en juillet est « l’évaluation la plus complète et la plus transparente d’un pesticide jamais réalisée par l’EFSA et les Etats membres de l’UE ». « Les experts ont évalué une série d’études publiées dans la littérature scientifique et des études réglementaires pour parvenir à leurs conclusions », ajoute-t-on à l’agence basée à Parme (Italie).
Par Stéphane Foucart , publié le 12 septembre 2023 à 07h00, modifié le 12 septembre 2023 à 10h00
Rapport dispo sur le site le site de Générations futures