Selon nos informations, Margaux, une ancienne militante centriste de 37 ans qui accuse le député Damien Abad de l’avoir violée en 2011, s’est constituée partie civile dans l’instruction pour « viol » et « tentative de viol » qui vise l’ancien ministre.
Selon nos informations, Margaux, une ancienne militante centriste de 37 ans qui accuse le député Damien Abad de l’avoir violée en 2011 et qui avait témoigné dans Mediapart, s’est constituée partie civile mercredi 10 janvier.
Il s’agit de la troisième plainte dans cette affaire, qui fait l’objet d’une information judiciaire pour « viol » et « tentative de viol » contre l’ancien ministre de 43 ans. Le député de l’Ain, qui bénéficie de la présomption d’innocence, a toujours contesté les accusations dont il fait l’objet.
En mai 2022, Mediapart avait révélé plusieurs témoignages mettant en cause son comportement avec les femmes. L’une d’elles avait porté plainte pour « tentative de viol », déclenchant l’ouverture d’une enquête préliminaire. Un mois après sa nomination comme ministre des solidarités, Damien Abad n’avait pas été reconduit à l’occasion du remaniement.
En juin 2023, le député avait été entendu par les policiers de la brigade de répression de la délinquance à la personne (BRDP) et placé en garde à vue. Puis une information judiciaire avait été ouverte, confiée à la juge d’instruction Cécile Meyer-Fabre.
Margaux (il s’agit de son vrai prénom) avait déjà porté plainte pour « viol » en 2017 contre le député de l’Ain, mais l’enquête avait été classée sans suite, après des investigations peu approfondies. En mai 2022, elle avait témoigné dans Mediapart, y compris dans notre émission.
Jointe ce jeudi, la trentenaire explique que sa décision de s’engager à nouveau dans une procédure judiciaire a été « très difficile » à prendre. « Lorsque j’ai reçu, en juillet, un “avis à victime” de la justice m’invitant à me constituer partie civile, je n’avais pas envie de le faire, et en même temps je n’avais pas envie de ne pas le faire, car il y a un devoir de sororité. Je ne peux pas laisser les deux plaignantes seules, je l’ai vécu, c’est très dur », relate-t-elle à Mediapart.
Aujourd’hui j’ai un peu d’espoir car je ne suis plus toute seule. Et dans ces affaires, on le sait, il faut être des dizaines pour être entendues.
Margaux à Mediapart, le 11 janvier 2024.
Elle garde d’ailleurs en mémoire le classement sans suite de sa première plainte. « À l’époque, je me suis complètement effondrée, je ne comprenais pas. Être en colère pendant des années, c’est dur. Aujourd’hui j’ai un peu d’espoir car je ne suis plus toute seule. Et dans ces affaires, on le sait, il faut être des dizaines pour être entendues. »
« Par ailleurs, ce serait une douleur de ne pas me voir reconnaître victime dans le cas où Damien Abad serait condamné dans cette affaire », ajoute-t-elle, précisant qu’elle est aussi en mesure d’affronter financièrement cette procédure puisqu’elle bénéficie de l’aide juridictionnelle.
Le contexte actuel a également joué dans sa décision : « La société est en train de changer, l’aspect systémique est reconnu. On sait aussi que le fait de nous entendre peut faire du bien aux victimes d’autres hommes. »
Des faits remontant à 2011
Cette ancienne militante centriste a rencontré Damien Abad en 2009, lors d’une réunion politique. À l’époque, elle a 22 ans et est vice-présidente des Jeunes démocrates à Paris ; Damien Abad, lui, a 29 ans, et est déjà député européen et président des jeunes du Nouveau Centre. Quelques mois plus tard, l’élu aurait selon elle « commencé à [la] draguer par SMS », puis un « flirt » s’était engagé par SMS.
Leurs échanges, consultés par Mediapart, montrent un jeune homme insistant. À ce moment déjà, Margaux avait été échaudée par plusieurs SMS, dans lesquels l’élu insistait pour avoir une photo de sa poitrine alors qu’elle avait refusé à plusieurs reprises ; il lui demandait qu’elle porte, lors de leur rencontre, sa robe « la plus sexy et décolletée » avec « porte-jarretelles talons aiguilles et dessous en dentelle » ; ou bien il faisait le forcing pour venir chez elle vers minuit et demi alors qu’elle déclinait.
Mais chaque fois, l’élu, voyant sa réaction, rétropédalait en plaidant l’humour, puis la relançait. Elle avait accepté sa proposition de venir chez elle un soir de janvier 2011, en pensant dîner avec lui. Mais il était arrivé après le repas, en raison des vœux du chef de l’État, Nicolas Sarkozy : « Prends des fraises j’apporte le champagne », lui avait-il écrit sur le chemin, réclamant encore la « belle robe », « avec un décolleté ».
« Je ressentais un risque », a indiqué Margaux aux policiers lors de son audition, en 2017. En témoigne le fait qu’elle avait demandé à un ami proche de l’appeler « à des heures régulières pour savoir si tout allait bien », avec « un code » en cas de problème. Ce que ce dernier a confirmé aux enquêteurs et à Mediapart.
Ce soir-là, elle assure avoir dit « plusieurs fois » à Damien Abad qu’elle buvait peu, mais il aurait « insisté » et ils auraient fini toute sa bouteille de champagne. Elle décrit ensuite une relation sexuelle empreinte « d’irrespect, d’injonction et d’insistance », à laquelle elle aurait plusieurs fois essayé de mettre fin, par des « sous-entendus » et stratégies d’évitement.
Elle prétend qu’après un début de relation consentie, l’élu lui aurait imposé une pénétration anale, alors qu’elle avait dit non de manière « affirmée », « à plusieurs reprises », et qu’elle avait arrêté de bouger. « Je lui ai dit qu’il se voyait dans un film porno. Il m’a dit d’être gentille et il continuait », a-t-elle déclaré aux policiers. « Revenir sur ces faits est toujours douloureux, d’autant plus publiquement », expliquait-elle à Mediapart en 2022 (lire son récit complet).
Après cette soirée, les contacts s’étaient interrompus brutalement. Jusqu’à un SMS qu’elle lui avait envoyé cinq mois plus tard : « Il va falloir qu’on parle. À propos de la dernière fois où l’on s’est vus. [...] Ton irrespect, tes pratiques, ton insistance, ton silence après m’ont choquée. Ça fait cinq mois que j’en reste traumatisée. Je ne sais pas quoi faire. » En face, le député avait manifesté de l’incompréhension, puis ajouté : « Je suis vraiment désolé si tu l’as mal pris. » Il évoquait de son côté « une bonne soirée », un rapport consenti et « respectueux », et lui proposait de la revoir « autour d’un café cette fois ». « J’ai trouvé que ce texto était une manière de se couvrir », avait indiqué Margaux aux policiers.
Dès 2011, la militante centriste songe à porter plainte. L’année suivante, elle appelle la ligne d’urgence « SOS viol ». « Deux ou trois fois », elle pousse la porte du commissariat du XVIe arrondissement de Paris. Ce n’est que le 20 février 2012, à 23 h 20, qu’elle parvient enfin à livrer son témoignage à une policière, mais sans confirmer son dépôt de plainte au final. Si la jeune femme hésite, c’est qu’elle ne veut « pas faire de mal » à Damien Abad et qu’elle a peur des conséquences, sur sa carrière notamment.
Le député l’« impressionnait » par son parcours de jeune premier et son lien avec le chef de l’État, « intimidant ». Elle voyait aussi en lui « un supérieur hiérarchique politique », « une des pistes les plus sérieuses » pour obtenir le poste d’assistante parlementaire qu’elle recherchait à l’époque, a-t-elle dit aux policiers. La jeune femme leur avait détaillé la « contrainte psychologique » qu’aurait exercée Damien Abad sur elle : « On n’est pas obligée d’avoir un couteau sous la gorge pour être contrainte de faire quelque chose. »
Une plainte d’abord classée faute de « preuves suffisantes »
Auditionné à l’époque, Damien Abad avait quant à lui décrit une relation sexuelle « consentie », dont la plaignante aurait été à l’initiative, le déshabillant et le rhabillant – ce qu’il ne pouvait faire seul en raison de son handicap (il souffre d’arthrogrypose, qui atteint la mobilité de ses quatre membres). Il affirmait qu’il n’y avait eu, durant cette soirée, « ni violence, ni agressivité, ni une quelconque contrainte morale », ni « d’insistance, d’irrespect ou de pratiques non consenties ». « Du premier baiser jusqu’à la fin de notre rapport sexuel, rien ne s’est fait et ne pouvait se faire sans sa volonté », assurait-il. S’il savait effectivement que la jeune militante était « à la recherche d’un positionnement dans le monde politique », il avait contesté tout « lien hiérarchique ».
Du premier baiser jusqu’à la fin de notre rapport sexuel, rien ne s’est fait et ne pouvait se faire sans sa volonté.
Damien Abad lors de son audition par les policiers, en 2017.
À dix reprises, face aux questions des policiers sur le déroulé de la soirée et sur le SMS dans lequel la plaignante faisait part d’un problème, le député avait répondu ne pas se souvenir. Interrogé sur les « injonctions » sexuelles évoquées par Margaux, il avait reconnu qu’« il y a[vait] peut-être eu des demandes de [sa] part », mais « à aucun moment de contrainte physique ou morale ». Enfin, il avait pointé le calendrier de la plainte, en pleine campagne présidentielle – il était alors le porte-parole du candidat François Fillon.
L’enquête, résumée en trois pages dans le procès-verbal de synthèse, n’avait pas été approfondie. Ni l’entourage de Damien Abad, ni ses assistant·es, ni les cadres ou militant·es de son parti n’ont été auditionnés. La justice n’avait pas non plus mandaté d’expert médical pour établir objectivement ses facultés physiques. La procédure avait été classée sans suite au motif d’une infraction insuffisamment caractérisée, « l’enquête n’ayant pas permis de rassembler des preuves suffisantes ».
Sept ans plus tard, c’est dans un autre contexte que Margaux dépose plainte : deux autres femmes, qui ont elles aussi témoigné dans Mediapart en 2022, se sont constituées parties civiles : Laëtitia*, une élue centriste qui a porté plainte pour « tentative de viol » ; et Chloé*, qui affirme avoir été violée par Damien Abad après avoir fait un « black-out » en buvant une coupe de champagne offerte par l’élu, en 2010. Toutes deux soupçonnent l’élu de les avoir droguées, ou d’avoir tenté de le faire.
Lors de nos révélations, Damien Abad avait contesté « avec la plus grande fermeté toute accusation de tentative de viol ou d’agression sexuelle » et promis une réplique à ces « accusations mensongères et scandaleuses ». Il avait annoncé une plainte en dénonciation calomnieuse à l’encontre de Laëtitia, la première plaignante.
Auprès de Mediapart, il avait soutenu que la maladie congénitale dont il souffrait ne lui permettrait pas d’effectuer certains gestes. Il nous avait par ailleurs assuré que *« les relations sexuelles qu’[il a] pu avoir ont toujours reposé sur le principe du consentement mutuel »-.
En juin 2023, lors de l’ouverture de l’information judiciaire le visant, l’ancien ministre avait demandé à « être entendu rapidement par le magistrat instructeur afin de se défendre face à des accusations ignobles, qu’il conteste fermement ».