Fiscalité du capital : les effets des réformes Macron toujours introuvables
(19 octobre 2023 | Par Mathias Thépot)
Le dernier rapport d’évaluation de France Stratégie sur l’impact des réformes baissant la fiscalité du capital n’a pas détecté d’effets vertueux sur l’économie réelle. Pis, la suppression de l’ISF aurait coûté une fortune à l’État.
C’est un principe auquel l’exécutif actuel ne compte pas déroger : maintenir ses réformes de 2018 baissant la fiscalité du capital pour les très riches et les entreprises afin qu’ils puissent, un jour peut-être, faire ruisseler leurs profits sur l’économie tout entière. Et tant pis si les études scientifiques peinent à trouver des effets vertueux significatifs de ces réformes pour l’économie française.
« Nous nous devons de rester fidèles à cette promesse (de) baisser massivement les impôts depuis 2017 », a déclaré le ministre de l’économie Bruno Le Maire lors de la présentation du budget 2024, dont la partie recettes a d’ores et déjà été adoptée en force, faute de majorité à l’Assemblée, par voie de 49-3 le 18 octobre.
La veille, le comité d’experts de France Stratégie – rattaché à Matignon –, qui s’est appuyé sur les travaux de l’Institut des politiques publiques (IPP), a publié son rapport final évaluant les effets des réformes de la fiscalité du capital de 2018.
On parle ici de l’instauration d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU), c’est-à-dire une flat tax à 30 % sur les revenus du capital, et du remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par un impôt recentré sur la fortune immobilière (IFI). Deux mesures complétées par la baisse de l’impôt sur les sociétés (IS) de 33 % en 2017 à 25 % en 2022.
Conclusions accablantes
On constate que les conclusions de France Stratégie évoluent peu par rapport à ses précédents rapports. Si l’on se penche d’abord sur les effets économiques, le rapport final du comité d’évaluation confirme que concernant l’instauration du prélèvement forfaitaire unique (PFU), « aucun effet n’a pu être identifié sur l’économie réelle (investissement, emploi, etc.) ».
Même constat concernant la transformation de l’ISF en IFI : « La suppression de l’ISF sur les variables d’activité réelle des entreprises indique un impact nul sur l’investissement des entreprises et pas d’effet décelable sur le niveau d’emploi et de masse salariale. »
Pas une surprise, du reste, car de nombreuses « études académiques disponibles au niveau international échouent à mettre en évidence qu’une modification de la fiscalité du capital pesant sur les ménages puisse avoir un effet notable sur le comportement réel des entreprises, tant en termes d’investissement que de demande de travail (emploi et niveau de rémunération des salariés) ». Le rapport précise toutefois qu’a contrario, « la littérature identifie un effet de la modification de l’impôt sur les sociétés sur l’investissement des entreprises et la demande de travail ».
Autre point mis en évidence par les travaux de France Stratégie : les réformes de 2018 ont favorisé la distribution de dividendes. L’institut a notamment détecté « l’existence d’un effet causal de l’instauration du PFU sur la hausse des dividendes perçus par les ménages, qui expliquerait plus de la moitié de la hausse observée au niveau macroéconomique ». De même « que la transformation de l’ISF en IFI a entraîné un surcroît de versement de dividendes, qui s’ajoute à l’effet propre du PFU ». Jackpot pour les actionnaires, en somme.
Mais l’IPP a essayé d’aller plus loin en se demandant si ces plus-values et ces dividendes générés par les réformes de 2018 avaient provoqué des effets vertueux sur les comportements de réinvestissement et sur les créations d’entreprises.
S’agissant des comportements de réinvestissement dans d’autres entreprises, France Stratégie estime que les effets sont « faiblement significatifs ». Nouvelle déception, donc.
En revanche, concernant des créations d’entreprises dans les secteurs les plus sensibles à la baisse de la fiscalité – notamment les activités financières et d’assurance, l’immobilier et l’information-communication –, le taux de création d’entreprises – défini comme le nombre des créations d’entreprises rapporté au stock total d’entreprises – aurait grimpé d’environ 9 % à près de 11 % grâce aux réformes Macron de 2018. Alléluia ! Après plusieurs années de recherche, un rapport de France Stratégie aura donc finalement trouvé un menu effet positif à toutes ces réformes favorisant les plus riches.
Deux bémols cependant. Primo, la suppression de l’ISF n’y est pour rien. « Il semble que cet impact sur les créations d’entreprises soit davantage dû au PFU et à l’IS qu’à la transformation de l’ISF en IFI », précise France Stratégie. Secundo, les effets de ces créations sur l’emploi global sont difficilement chiffrables, car on ne sait pas si ce sont d’ancien·nes salarié·es qui se mettent à leur compte. « Le calcul d’un effet net sur l’emploi nécessiterait de prendre en compte les effets de substitution », précise le rapport.
Un pognon de dingue
Par ailleurs, si l’on considère le coût de ces réformes pour les finances publiques, il y a beaucoup à redire. Certes la perte de recettes liée à l’instauration du PFU semble se financer par les retombées fiscales liées à la hausse significative des dividendes qui en découle, nous dit en substance France Stratégie. En revanche, concernant la restriction du périmètre de l’ISF au seul immobilier (IFI), l’échec pour les finances publiques est total. Comprendre : cette réforme a coûté un pognon de dingue.
S’ils avouent ne pas pouvoir donner de montant précis, les experts de France Stratégie proposent toutefois un ordre de grandeur des pertes pour les caisses de l’État de plus de... 4 milliards d’euros pour la seule année 2022.
Voici leur raisonnement pour arriver à ce chiffre : sous l’hypothèse que les recettes d’ISF auraient crû au même rythme que les recettes de l’IFI depuis 2018, les recettes de l’ISF, en 2022, auraient été égales à 6,3 milliards d’euros. Or les recettes de l’IFI ont, elles, atteint en 2022 1,83 milliard d’euros. En faisant la soustraction, « la perte de recettes liées à la transformation de l’ISF en IFI s’élèverait donc à 4,5 milliards d’euros ».
Mais les auteurs du rapport tiennent toutefois à préciser que l’ISF n’était pas pour autant l’impôt idéal. En effet, il touchait peu les ultrariches. Alors que le taux marginal de l’ISF s’établissait facialement en 2017 à 1,5 %, le taux d’imposition effectif pour les 0,001 % plus fortunés était de 0,1 %, par rapport à l’ensemble de leur patrimoine… Cet écart, par rapport au barème facial, s’expliquait essentiellement par le plafonnement de l’ISF – au-delà de 75 % des revenus fiscaux, l’impôt est considéré comme confiscatoire.
Or les revenus fiscaux déclarés par les milliardaires en France sont bien inférieurs aux revenus réellement à leur disposition car ils ne prennent pas en compte les revenus logés dans des sociétés holding qu’ils contrôlent. Par ailleurs, l’exclusion des biens professionnels de l’assiette de l’ISF réduisait également la progressivité de l’impôt pour les ultrariches.
Du reste, cette nuance apportée par France Stratégie ne redonne en rien ses lettres de noblesse à la transformation de l’ISF en IFI. L’exécutif devrait a minima repenser cette mesure. C’était d’ailleurs l’une des grandes promesses d’Emmanuel Macron sans son livre-programme Révolution, publié en novembre 2016 (éditions XO) : il faisait alors de l’évaluation scientifique des « réformes » une pierre angulaire du renouveau politique qu’il proposait. Afin, écrivait-il, de « lutter contre la fatigue démocratique » et « l’inefficacité de l’action publique ».
Scientifiquement, sa méthode était précise : « Chaque fois qu’un texte est voté, il devrait être obligatoire d’évaluer son efficacité, deux ans après son application. Chaque texte important devrait contenir une clause d’abrogation automatique en l’absence d’une évaluation probante. »
Si l’on suit son raisonnement, l’évaluation sérieuse et sans concession de France Stratégie sur la mesure transformant l’ISF en IFI devrait donc aboutir à son abrogation. La promesse de campagne du chef de l’État va-t-elle passer à l’as ?