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Trop anti-Bolloré, Rima Abdul Malak est remplacée par une sarkozyste pur jus. Une manœuvre de basse politique signée Emmanuel Macron.


« Ah la vache. » C’est sorti comme ça, froidement, de la bouche d’un acteur de la musique à qui l’on apprenait jeudi la nomination de Rachida Dati au ministère de la Culture. « Elle a vraiment toutes les qualités pour être ministre dans ce gouvernement : traître et mise en examen. » Voilà une ministre qui vient de faire des économies vestimentaires en se faisant ainsi rhabiller pour l’hiver à l’œil. La simple éviction de sa prédécesseure, Rima Abdul Malak, est déjà un aveu terrible et terriblement symbolique du premier gouvernement de Gabriel Attal¹ : dehors, celle qui s’est opposée à l’empire médiatique de Vincent Bolloré, à Gérard Depardieu et (en toute discrétion, certes) à la loi immigration votée grâce à l’extrême droite. Place à Rachida Dati, prise de guerre sarkozyste et surprise du chef – on parle d’Emmanuel Macron – pour faire diversion et qu’on ne s’appesantisse pas sur un gouvernement à droite toute, avec à l’honneur des hommes et des fidèles …

« Je suis restée libre », a lancé Rima Abdul Malak ce vendredi matin lors de la remise des clés de la rue de Valois, où loge le ministère de la Culture, à Rachida Dati, citant comme un « fil rouge de [ses] engagements », « la lutte contre l’extrême droite, ses manipulations, ses stigmatisations ». De fait, elle est la seule ministre à s’être élevée contre l’emprise grandissante des médias de Vincent Bolloré quand nombre de ses collègues n’ont pas hésité aller à la soupe dans Le JDD sauce Geoffroy Lejeune.

Le dernier à avoir qualifié CNews de chaîne « clairement d’extrême droite », c’était Pap Ndiaye, début juillet 2023. Dix jours après, il était viré de l’Éducation nationale, non sans avoir subi un éreintement en règle de tout l’orchestre médiatique de Vincent Bolloré. En février 2023, Rima Abdul Malak avait essuyé le même sort (lire l’épisode 190 de L’empire, « Rima Abdul Malak : l’empire Bolloré contre-attaque ») pour s’être inquiétée du sort de Paris Match et du JDD avoir rappelé le casier particulièrement chargé de CNews et C8, chaînes délinquantes multirécidivistes. Et estimé que ce serait « le rôle de l’Arcom, au moment de faire le bilan de ses obligations, de vérifier qu’elles ont bien été respectées pour pouvoir ensuite évaluer si la reconduction de cette fréquence est justifiée ou pas. » Comme toutes les chaînes bénéficiant de fréquences gratuites octroyées par l’État, CNews et C8 doivent respecter des conventions qui couchent noir sur blanc leurs obligations dont le pluralisme ou l’honnêteté de l’information, sur lesquelles s’asseoient joyeusement les chaînes Bolloré. Or, c’est en 2025 que leurs autorisations d’émettre arrivent à échéance et le processus légal qui voit l’Arcom examiner leur renouvellement ou leur reprise par de nouveaux candidats a déjà commencé.

En faisant le choix de remplacer Rima Abdul Malak, le Président envoie un message de pacte de non agression aux médias de Bolloré.

Un expert de la Macronie

L’ancienne conseillère culture d’Emmanuel Macron était pourtant souvent bonne élève comme quand elle tance le discours anti-gouvernement de la cinéaste Justine Triet lors de son palme d’or en mai 2023. Mais après l’épisode Bolloré, elle a récemment aggravé son cas en annonçant une procédure disciplinaire de la Chancellerie de la Légion d’honneur à l’endroit de Gérard Depardieu : bim, recadrée en direct dans C à vous par Emmanuel Macron, soucieux de défendre le présumé violeur et agresseur sexuel, oups pardon, l’acteur qui rend « la France fière». Cette défense a ambiancé les réveillons et occupé les médias pendant la période creuse des fêtes à coup de tribune de soutien à Depardieu fomentée par l’extrême droite et de légitime indignation qui s’en est suivie. Atteignant là le but qu’Emmanuel Macron recherchait – au détriment des victimes : camoufler sous un écran de fumée le fiasco de la loi immigration, à laquelle Rima Abdul Malak s’était d’ailleurs timidement opposée.

Car c’est bel et bien une lecture politique qu’il faut faire de cette éviction de Rima Abdul Malak – et de la nomination de Rachida Dati. « Ce n’est pas l’affaire Depardieu qui a joué, estime un spécialiste de la Macronie, ce sont les propos sur Bolloré de Rima Abdul Malak en février de l’année dernière qui ont fini par jouer. Quand la ministre a tenu ces propos, elle est devenue une ministre que CNews, C8, Europe 1, Paris Match, Le JDD ont pris en grippe. En faisant le choix de la remplacer, le Président leur envoie un message de pacte de non agression : je vous enlève la ministre qui vous a tapé dessus. C’est ça qui s’est joué. »

Plus largement, ne pas s’opposer aux médias Bolloré, c’est ne pas prendre de front l’extrême droite à laquelle la galaxie CNews, C8, Europe 1, Paris Match, JDD sert de haut-parleur. « Emmanuel Macron est dans un moment où il s’adresse à d’autres publics. C’est ce qu’on constate dans ce remaniement en général, pas que dans la culture, juge l’interlocuteur des Jours. L’important dans l’affaire Depardieu, ce n’est pas qu’il dise que la ministre s’est trop avancée. Le vrai sujet c’est que le Président a repris, à la ligne près, l’ensemble des arguments qui étaient développés sur CNews et sur le plateau d’Hanouna en allant jusqu’à remettre en doute le fait que le sujet de Complément d’enquête puisse être correctement monté. Là, le Président remet en doute ce travail-là, celui de Complément d’enquête qui est quand même le service public. »

Un service public inlassablement attaqué par l’extrême droite et donc par les médias Bolloré comme étant un ramassis de gauchistes. À la triangulation politique (c’est-à-dire reprendre les idées de l’adversaire pour en faire les siennes) largement illustrée par le présent remaniement, Emmanuel Macron ajoute la triangulation médiatique. « On verra dans les prochaines semaines, les prochains mois, les signaux qui sont envoyés vers Bolloré. L’ensemble des ministres qui vont au JDD, c’est déjà un signal ; quand le Président dit qu’il ne faut pas opposer les médias, c’est aussi un signal » conclut notre spécialiste de la chose médiatico-politique.

Et que dit-on de la nomination de Rachida Dati du côté du service public, justement ? Dans les hauts étages de France Télévisions, on se montre prudent : « On est surpris, mais on verra. Elle porte des sujets comme la diversité et la place des femmes. On espère qu’elle défendra le reste...» D’autres prennent moins de pincettes : « Le problème de cette nomination, ce n’est pas Rachida Dati, c’est Macron. Après Depardieu, c’est ouf… »

Avec Rachida Dati, le monde de la culture a la pénible impression de servir de « variable d’ajustement »

Ça fait chic : le ministère se retrouve de surcroit sous l’autorité d’une femme mise en examen pour corruption passive (« présomption d’innocence », a balayé Gabriel Attal jeudi au 20 heures de TF1, mais attendons tout de même les réquisitions du Parquet national financier, attendues dans les prochaines semaines) et dotée d’une réputation absolument justifiée de teigne. En témoigne, au hasard et parmi tant d’autres, sa sortie d’il y a à peine deux ans sur la République en marche, « un parti de traîtres de gauche et de traîtres de droite », vipérait sur France Inter celle qui sitôt l’annonce de sa nomination a été virée des Républicains.

L’arrivée de Rachida Dati rue de Valois est de fait une désagréable surprise pour le secteur de la culture, qui a la pénible impression de « servir de variable d’ajustement », comme le dit Olivier Darbois, président du Prodiss, le principal syndicat des organisateurs de concerts. « Mais je ne dirai rien sur elle en amont, continue-t-il, prudent. Voyons comment ça se passe, puisque c’est le choix du gouvernement… Enfin, d’Emmanuel Macron. »

Un choix issu d’un deal : Rachida Dati aurait négocié son débauchage en échange d’une candidature unique LR-Renaissance à la mairie de Paris en 2026. Pari risqué : trois ans, c’est loin. « Elle n’est pas connue pour arpenter les salles de spectacle ou les musées, confirme en forme de litote une actrice du secteur de la musique. Son arrivée au gouvernement, c’est clairement avant tout une prise de guerre pour Macron, un marche-pied. Je ne sais pas ce qu’elle va apporter au ministère. »

Et de pointer un double gros sujet qui risque de peser lourd dans cette année 2024 d’élections européennes et de prise de positions avant la course à la présidentielle : « On se demande comment elle va se positionner sur la question de la liberté d’expression. » Rachida Dati, ministre sarkozyste jusqu’aux os, peut-elle défendre les spectacles et films attaqués de partout par la nébuleuse de l’extrême droite, ainsi que le raconte notre enquête Orgues et préjugés ?

Quant à contrer l’emprise de Vincent Bolloré, la blague est vaste quand on entend un Cyril Hanouna louer régulièrement Rachida Dati dans Touche pas à mon poste, sur C8. Et qu’on connaît la proximité de son mentor, Nicolas Sarkozy, avec Vincent Bolloré dont il a poussé l’OPA sur le groupe Lagardère – pratique, il en est un des administrateurs. « Mes collègues disent tous la même chose, pointe un interlocuteur de la musique, elle est quand même très proche du monde de l’argent et des grands groupes. Face à Bolloré ou Drahi, c’est pas rassurant. »

N’ayez pas peur.

Rachida Dati lors de son arrivée au ministère de la Culture

Son premier test sur ces questions se jouera peut-être dès la semaine prochaine. Rima Abdul Malak était attendue aux Bis de Nantes, les gigantesques Biennales internationales du spectacle vivant, pour prendre la parole en clôture d’un débat sur la liberté d’expression. Personne ne sait encore si Rachida Dati honorera le rendez-vous. Lors de la passation de pouvoir ce vendredi, elle n’a fait que reprendre la seule antienne de droite vis-à-vis de la culture, celle d’André Malraux sur la mission du ministère qu’il fonda, à savoir « rendre accessible au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité ». « N’ayez pas peur », a-t-elle aussi lancé au monde de la culture et de l’audiovisuel qui tremble pourtant déjà. Enfin, pas dans la galaxie Bolloré où les bouchons sautent.

L’éviction de Rima Abdul Malak et son remplacement par Rachida Dati : le symbole et le résumé du gouvernement de Gabriel Attal où sont châtiés les (rares) opposants à la loi immigration, tel Clément Beaune viré des Transports, et intronisés ministres des militants de droite. Ça a au moins l’avantage d’en finir avec cette fable d’une Macronie ni de gauche, ni de droite : désormais, c’est ni de gauche, ni de gauche. Ainsi Catherine Vautrin, encore récemment encartée chez les Républicains et qui avait été pressentie à Matignon en mai 2022 avant que le choix élyséen se porte sur Élisabeth Borne, prend le ministère de la Santé où ses positions contre le mariage pour tous – un « rendez-vous raté » a-t-elle opportunément et tardivement reconnu en 2023 – laissent augurer de délicats arbitrages alors que l’IVG doit entrer dans la Constitution cette année. De la même eau saumâtre, Aurore Bergé, désormais en charge de l’égalité femmes-hommes et de la lutte contre les discriminations, qui, outre son opposition, passée dit-elle, au mariage pour tous et à l’adoption par des personnes homosexuelles, ne masque pas ses idées transphobes, ainsi que le rappelait récemment notre série La vie des genres.

Hormis la surprise Dati, ce gouvernement maintient à leurs gros ministères de bonhommes les Darmanin, Le Maire et Dupont-Moretti

Parmi les quatorze ministres nommés jeudi soir – la valetaille des secrétaires d’État attendra –, on trouve, à l’image du premier d’entre eux, des fidèles macronistes dont la compétence principale tient dans le petit doigt, bien aligné sur la couture du pantalon, comme Stéphane Séjourné, disciple de la première heure, qui prend en charge les Affaires étrangères, ou Prisca Thévenot, désormais porte-parole à la place d’Olivier Véran. On redoute également une vague de burn-out dans certains ministères fourre-tout, tels celui d’Amélie Oudéa-Castéra qui, en plus des Sports, se retrouve carrément chargée de l’Éducation nationale ou celui de Catherine Vautrin qui devra concilier Travail et Santé – ô, ironie.

Hormis les surprises Attal et Dati, l’ossature globale de ce gouvernement fait furieusement penser à la précédente avec Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Éric Dupont-Moretti et Sébastien Lecornu tous maintenus à leurs gros ministères de bonhommes qui, visiblement, ne souffriraient pas d’être dirigés par des femmes, une constance chez Emmanuel Macron que de les garder à des fonctions périphériques. Lequel président de la République a réuni vendredi à 11 heures le gouvernement qu’il a formé et à la tête duquel il a nommé son succédané pour un premier conseil des ministres.

Agglutinée autour d’une petite table pour faire genre, l’équipe s’est vue coacher par un Emmanuel Macron mi-gourou, mi-courroux : « Je ne veux pas d’états d’âme, je veux des états de service », a-t-il lancé enjoignant ses troupes de lutter contre « le grand effacement » de la France. Avec un ultimatum : « Si vous ne vous en sentez pas capable, quittez cette pièce à l’instant. » Personne n’a moufté.


¹Gabriel Attal Petit soldat du macronisme

Il est le quatrième Premier ministre d’Emmanuel Macron : à 34 ans, Gabriel Attal a été nommé à Matignon le 9 janvier 2024 en remplacement d’Élisabeth Borne. Celle-ci aura tenu vingt mois à la tête de la majorité relative sortie des urnes deux mois après la réélection d’Emmanuel Macron : vingt mois, 23 recours à l’article 49.3, une réforme des retraites injuste, une loi immigration votée grâce à l’extrême droite, beau bilan. Si comme sa prédécesseure, Gabriel Attal a démarré à gauche, lui a été des tout premiers fidèles d’Emmanuel Macron, le rejoignant dès 2016 et lui collant aux basques depuis, au point d’en devenir une espèce de clone. Porte-parole d’En marche, puis du gouvernement, il devient ministre des Comptes publics en 2022 avant de succéder à Pap Ndiaye à l’Éducation nationale en juillet 2023 jusqu’à être bombardé six mois plus tard à Matignon.

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